Louis L. Talleyrand

« Je vais tout t’expliquer » annonça Louis à Mazarin qui regardait suspicieux les quelques tâches de sangs qui nacraient ses vêtements noirs.

Voilà ce qui s’est passé. Voilà comment le libraire du coin s’est mis à parler à son chat quelques fois le soir, alors que personnes de le voit, et comment il lui raconte l’histoire de cette nuit là.

Il ne parle par beaucoup du reste. Il ne parle pas de son enfance, aussi banale qu’ennuyante. Une barrière blanche, deux chiens, des parents aimants. En apparence, tout allait bien. Ses parents étaient deux grands amateurs d’histoire, de l'Histoire française particulièrement. Il lui donnèrent donc un prénom de roi, l’un des prénoms qui avait marqué l’histoire de son temps, qui était celui des hutins et celui des sages.
Cela lui allait bien finalement, avec ce caractère si spécial, oscillant souvent entre hilarité et colère brutale.
C’était un garçon intelligent. Un peu trop peut-être. Il compris bien jeune la raison réelle qui avait fait prendre la fuite à sa mère et les avait fait déménagé de Londres vers la Nouvelle Angleterre comme sa mère l’appelait toujours.

Elle et lui, vécurent simplement. Sa mère avait quitté la capitale anglaise et son travail de professeur d’Université. Elle oscillait dans les Etats-Unis entre petits postes à deux ronds et ceux de quelques mois. L’adolescent qu’il était alors évoluait entre cela ; entre les déménagements et les nouvelles écoles.
La réalité le frappa vite alors. Dans le monde, il y avait des gentils et des mauvais, des bons et des méchants ; et ce n’étaient pas toujours les bons qui gagnaient. Il faisait parti des bons et pourtant, il perdait. Sa mère n’eut pas assez d’argent pour l’envoyer à l’Université, quel qu’elle soit.

Son âge adulte trembla donc entre la peur de devoir faire quelque chose et celle de n’avoir rien à faire dans le monde. Mais comme à tout, comme à la perte de son logement, il prit les devant et tenta tant bien de mal, de faire tenir les deux bouts.
L’avantage de l’Amérique était peut-être cela. De pouvoir faire ce que l’on voulait, avec ce qu’on pouvait. Pendant quelques années, des dizaines de mois, il mit de coté chaque centime de trop dans sa vie. Il vendit aussi quelques uns de ses précieux ouvrages, ceux qu’il avait gardé de coté et ceux qui avaient formé son adolescence.

Quand il eut assez, il acheta une petite boutique dans Charney. Coincée entre deux plus grande, à coté d’un magasin de vêtement et une boulangerie. C’était à peine quelques mètres carrés poussiéreux. Mais c’était suffisant. Assez lugubre pour attirer les personnes les plus étranges ; assez « hype » pour attirer un peu toute les populations.
Il accumula les livres sur les étagères de bois qu’il construisait lui-même. Des beaux et des moins beaux. Charney, dans ce quartier du moins lui offrait un cadre paisible et serein.

Puis, il y eut ce 24 juillet.
C’était une journée particulièrement chaude, torride dans la ville. Un peu folle aussi. La chaleur pesait sur les esprits et les corps. Même son chat, Mazarin, dormait sur le carrelage froid de temps à autre pour éviter la chaleur.
Louis était donc plutôt heureux de se réfugier derrière le comptoir de sa librairie. La boutique était déjà devenue un peu plus grande. Il avait racheté le magasin de vêtements voisin et en avait retapé une partie pour y installer les nouvelles collections.
Malheureusement, il ne pouvait resté toujours au frais et alors qu’une dame très spéciale lui demandait quelques conseils, il dû sortir et montrer un ouvrage d’art depuis l’extérieur. C’était un bel ouvrage. Un livre sur Gustave Doré.
De ce jour, il se souvient des rires des enfants et du soleil qui tapait dans son dos. Du parfum de la femme à ses cotés. Il ne se rappelle même plus de si elle l’a acheté ou non finalement.
Il se souvient surtout des gamins qui passaient dans sa rue en riant et en parlant, de leurs sacs aux multiples couleurs qui suivaient leurs dos. Une fillette avait prit la tête de la bande. Elle criait plus fort que les autres, comme pour imposer son autorité à ses camarades. Elle était jolie ; elle avait les cheveux blonds comme les blés et des yeux azur comme la mer. De loin, elle lui fit un immense sourire, si grand que les commissures de ses lèvres manquèrent de toucher ses oreilles. Un petit « coucou » de la main, qui fit taire l’agacement du libraire et lui donna même un sourire pour cette dame qui l’énervait quelque peu.
Ce soir là, Louis alluma les informations sur son ordinateur. Il vit apparaître ce visage angélique pour la première fois et quelques parents éplorés priant pour le retour de cette fille aimée.
Son visage apparu sur les briques de laits les jours suivants. La pluie revient, elle aussi dans ces jours là. Elle effaça progressivement le bel été et son visage sur les écrans et les fiches collées dans les rues.
Un mois. Au milieu du mois d’aout suivant, son visage revient, pendant quelques secondes à l’écran des télévisions. Le corps de la fillette avait été retrouvé dans un fossé non loin de Charney. On décria cette mort horrible et divers problèmes de Charney, pour lesquelles, pour la première fois Louis s’intéressa.

Meurtre, viol, enlèvement, gangs, police corrompue… Des mots qui lui paraissaient lointain dans son quartier plutôt paisible.
Il y avait quelque chose qu’il ne comprenait pas. Quelque chose qui lui paraissait hors-norme et impensable. C’était peut-être parce qu’il était profondément bon qu’il ne pouvait s’imaginer la raison qui faisait qu’on s’en prenne à des enfants.
Et il avait besoin de comprendre. De comprendre pour contrôler cette colère qui montait peu à peu dans ses veines et s’appropriait son corps. C’était cette colère d’impuissance, cet aveu de ne rien pouvoir faire pour changer les choses.
Il fit donc quelque chose qui parut étrange alors. Il confia sa boutique et son chat à son employé d’alors et prit un billet d’avion pour Londres. Il ne connaissait de cette ville que de vagues souvenirs, que des histoires de la « belle époque » que sa mère avait vécue.
Il ne se rappelait plus de son père. Et honnêtement, il ne pouvait croire que le vieillard à la peau grisâtre qui peinait à marcher l’avait élevé un jour et lui avait apprit à faire des mathématiques ou à lire. Il portait une tenue similaire à celle de la dizaine de gars en cage qu’il avait vu jusque là, une tenue de détenu.
Son père faisait partie de ces hommes avec des pulsions déviantes, des hommes qui disaient aimer ce qui n’étaient pas permis. C’était étrange de se trouver devant lui et de comprendre pour la première fois qu’il y avait des victimes qui devaient avoir son âge aujourd’hui, mais que lui faisait partie des chanceux qui avaient été épargnées. C’était étrange et terrifiant à la fois.
Terrifiant de comprendre que finalement, il n’y avait rien à comprendre, même pas un pourquoi et que tous les mots, qui pouvaient sortir de sa bouche, n’étaient que des mensonges éhontés.

Savoir qu’il n’y avait rien à comprendre, aucune bonne raison pour de tels actes, ne calma pourtant pas ses nerfs, ni cette colère qui le rongeaient. Il essaya plusieurs choses ; fatiguer son corps ou fatiguer son esprit, faire les deux à la fois.
Mais rien ne fonctionnait. Il y avait toujours cette colère, imperméable à toutes les attaques qu’il pouvait lui porter.
Il n’y eut que ce moment. Ce moment spécial où son poing s’enfonça dans la chair d’un adversaire, que ce moment où il prit une barre de fer pour exploser le crâne de cet homme, qui sembla l’apaiser. Il n’y eut que ce moment où il sentit le souffle raide de l’autre qui sembla la satisfaire.
L’homme est mort ce soir là.
Et lui, Louis Talleyrand, s’assit dans son vieux fauteuil de cuir qui ornait la mezzanine de sa boutique. Son souffle s’était apaisé. Il avait cessé de courir. Il avait balancé la barre de fer dans le fleuve en passant. Puis il avait couru jusqu’à sa boutique pour s’y enfermer. Ses manches restaient pourtant toujours couvertes de sang et son visage légèrement déformé entre la paix et l’hilarité qui prenait ses tripes et son corps au plus profond
Depuis le bureau, Mazarin redressa sa tête avant de l’incliner légèrement comme circonspect devant l’image ensanglantée de son collègue. Il fronça ses narines, puis renifla avant de feuler sauvagement.
« Attend… »
Et le chat qui avait fuit en faisant voler quelques feuilles de papier blanc, s'arrêta. Il se tenait un peu à l'écart, effrayé par cet homme qu'il ne reconnaissait pas sous le sang.
«  Je vais tout t’expliquer… »