L'homme est un loup pour l'homme. Et je suis l'alpha.

Mes chiens sont ma vie. Ils ne me quittent jamais réellement. Ils sont toujours là, près de moi, à veiller sur ma protection. Ils sont ma meute. Et je suis l’alpha.

Lila est un Samoyède. Une chienne que j’ai prise en mémoire à ma mère, une femme de voyage, appréciant le charme des paysages et des hommes de passage. Lila est docile et obéissante. D’un naturel tranquille, elle fait preuve d’une certaine indépendance et reste toujours à une certaine distance. Elle affectionne particulièrement les femmes – peut-être est-ce leur parfum ? – et fuit naturellement les hommes que nous croisons pour revenir à mes pieds. Lila n’est pas tellement joueuse, mais elle reste endurante et curieuse, allant toujours mettre son museau dans les sacs qui traînent à la recherche de nourriture. Une nourriture qu’elle me ramène en priorité. Je l’ai adoptée à une vieille femme qui avait eu une portée de chiots : une femme adorable, aux cheveux de neige comme le pelage de la petite chienne. Une femme que je connaissais pour avoir échangé plusieurs fois avec elle, dans la rue. Une femme qui m’a apporté plus d’une fois un chocolat chaud et un sandwich, pas d’argent, il ne faudrait pas que je m’en serve pour aller boire ! Elle détestait les ivrognes et passait tout son temps à critiquer mon odeur, ma tenue ou encore, mon regard. Elle m’accusait de vouloir la voler. Pourtant, elle venait tous les jours s’assurer à ce que j’ai eu au moins de quoi me payer un repas. Elle vérifiait, depuis sa fenêtre, que je ne buvais pas de bière et hurlait depuis son balcon pour savoir si je souhaitais une tisane ou une couverture. Un jour, alors que nous discutions, elle m’a présenté sa chienne. Puis ses chiots. Et ma petite Lila. Quand je l’ai prise dans mes mains, quand je l’ai sentie gigoter contre mes doigts, je l’ai serrée contre mon ventre pour qu’elle n’ait pas froid. Pour la rassurer, lui permettre de poser ses pattes sur mes cuisses, sa tête, contre moi. La vieille femme m’a laissé Lila, avec la promesse que j’en prendrai soin. Que je la ferai voyager et que je veillerai à ce qu’elle ne manque de rien. Une fois ma parole donnée, la vieille femme a demandé à Lila de veiller sur moi. Nous nous sommes séparés peu de temps après. Mais quand je vois Lila me regarder, assise en hauteur, avec son museau en l’air, j’ai l’impression de retrouver cette vieille femme grognonne, au cœur si bon.

Dingo est un bâtard, probablement issu de l’union étrange d’un Cane Corso et d’un Shar Pei. Un corps courtaud, épais, musclé bien que manquant d’harmonie. Des plis au niveau du cou, du dos. Un pelage sombre, avec des tâches brunes sur le thorax, un museau en accordéon. Dingo est probablement l’un des plus jeunes de la petite troupe. Comme son nom l’indique, Dingo n’est pas très malin, malheureusement, mais me fait toujours tendrement sourire. Dingo est un chien qui s’effraie d’un rien, sursautant face aux pigeons, aboyant à la lumière des néons. Un chien qui passe parfois des heures à courir après sa queue ou qui se jette sur son ombre. Il ronfle constamment et apprécie se rouler dans les endroits les plus répugnants : j’ignore comment fonctionne son flair mais l’animal est naturellement attiré par tout ce qui est de plus nauséabond. J’ai trouvé Dingo près d’une poubelle, prisonnier d’un sac plastique. Il couinait, de toutes ses forces, assez fort pour que je l’entende. Je l’ai délivré et adopté. Lila m’a bien aidé à m’en occuper : elle a appuyé son éducation comme une mère le ferait, n’hésitant pas à le reprendre en lui mordant la nuque ou les oreilles, pas prête de se laisser faire. Avec le temps, Dingo a fini par la dépasser. Il n’en reste pas moins un chien terriblement affectueux et généreux. Récemment, j’ai découvert que l’odeur du sang le faisait particulièrement réagir. Il gémit, à l’odeur, jusqu’à glapir contre mes jambes. C’est ainsi que nous avons sauvé, si je puis dire, un jeune homme inconscient. Tombé d’un balcon ? Percuté par une voiture ? Il gisait sur le trottoir, une jambe ensanglantée. Je me suis occupé de lui faire un garrot, j’ai crié et Dingo a hurlé, jusqu’à ce qu’un visage se montre. Nous avons pu appeler les secours et le jeune homme a été conduit aux urgences. Je n’ai jamais eu de nouvelles de lui. J’espère qu’il a survécu.

Râ est mon berger allemand. Un vieux chien, mais dont les réflexes sont à ne pas prendre à la légère. Il m’obéit au doigt et à l’œil : avec lui, une simple inclinaison de la tête suffit à ce qu’il réagisse et bondisse. Le caractère de Râ a commencé à s’apaiser au fur et à mesure qu’il prenait de l’expérience. Autrefois, nous appartenions tous deux à la brigade canine. Nous avons appris à nous connaître et à tout faire ensemble. Le flair de Râ reste très sensible à de nombreuses drogues : je lui ai appris à ne pas gronder ni japper sans mon autorisation, par soucis de discrétion. Quand j’ai été contraint de quitter la bridage après une altercation avec mon supérieur, j’ai emmené Râ avec moi. Bien entendu, je n’en ai pas demandé l’autorisation, mais personne n’est venu m’arracher mon chien. Mon ami. Il commence à faiblir. Il traîne la patte, marche derrière moi et, au plus fort de l’hiver, il m’arrive de passer des heures  à masser ses pattes endolories. Mais Râ assure ma protection. Au moindre signe de ma part, il attaque et ses crocs ont déjà broyé plus d’un bras. Râ sent venir les dealers de loin et se contente de plaquer les oreilles sur son crâne, son dos rond collé à mes jambes, ses yeux d’or fixant chaque mouvement. Je le tranquillise d’un murmure. Nous ne sommes plus en service. Bien que des fois, l’envie de reprendre un peu le travail monte en moi, puissante, effrayante, comme ce grondement sourd qui secoue la poitrine blanchissante de mon faucon à 4 pattes.

Glas est un lourd et puissant Mastiff. On recule instinctivement à la vue du monstre pas loin de 80 kilos, au pas pesant, à la gueule lourde, aux yeux tombants. Son pelage épais mais ras est une armure contre bien des morsures, comme les plis qui bordent son museau et l’arrière de son dos qui servent à faire glisser les crocs de ses ennemis. Glas aboie sourdement. Une voix grave, qui tonne comme l’orage. Un ancien chien de combat. Traumatisé par de nombreuses maltraitances. Je suis d’une extrême prudence avec lui. Il porte une muselière et je le tiens toujours en laisse, près de moi. Les circonstances de notre rencontre n’ont rien de joyeux : fut un temps, j’eus été plus ou moins contraint de participer à des combats de rue pour gagner de quoi nourrir mes chiens. Et je l’ai vu. Glas avait été sévèrement mordu à la patte arrière ainsi qu’au museau et son maître voulait s’en débarrasser : il n’allait plus tirer grande fortune d’un chien borgne et boiteux. J’ai réussi à le convaincre de me laisser son animal en échange d’une petite fortune, durement gagnée à la sueur de mon front. Mais Glas sait me remercier. Il n’est pas très affectueux mais je ne peux nier que son caractère protecteur m’a littéralement sauvé la vie… Comme cette fois où cette bande de gamins de riches m’était tombé sur le dos, un soir. Qu’ils m’ont battu, m’ont filmé, par plaisir, par sadisme. Jusqu’à ce que Glas arrive à briser sa laisse. Jusqu’à ce que Glas galope vers eux, qu’il saisisse le bras de l’un, qu’il manque de le lui arracher, avant de s’en prendre à la jambe d’un qui voulut le frapper. Mon intervention fut nécessaire pour que Glas ne les réduise pas en charpie et je disparus du quartier quelques temps, par peur que les conséquences ne reviennent sur mon chien. Glas est un chien craintif, toujours sur les nerfs, qu’il m’est nécessaire de toujours canaliser et d’apaiser. Glas  m’a appris la patience : que ce soit le fait d’améliorer la mienne ou de respecter la sienne, très limitée.

Et enfin, Rubis. Rubis est un chat de gouttière. Un animal que Dingo avait pris en chasse et qui s’était réfugiée à l’abri derrière une poubelle, traînant vainement son arrière train immobile au sol. Un petit être handicapé pour lequel j’ai… complètement craqué. Il mange bien moins que les chiens et apprécie se blottir dans ma besace, pelotonné contre mon ventre, à ronronner. Ma mère a toujours aimé croire en la réincarnation et parfois, j’essaye d’imaginer ce que mes animaux ont pu être, ce qu’ils seront. Ce que j’ai été et ce que je deviendrai. Je les respecte pour ce qu’ils sont, tout comme ils ont appris à m’accepter et m’obéir pour ce que je suis.

Je suis l’alpha, un alpha dans un monde où l’homme est un loup pour l’homme et où le chien est parfois plus humain.