you, me, us

La nuit était déjà bien avancée. La musique était assourdissante et la salle principale du club était blindée. Toutes les tables étaient convoitées, les bouteilles hors de prix s'enchainaient tandis que des corps se collaient sur la piste de danse. Je me trouvais en hauteur, à la portée de vue de tous les clients et les employés. Je dansais pour gagner des extras, mon salaire de vendeuse ne me suffisant plus. Je signais des contrats dans des boîtes de la ville où je devais m'exhiber en tant que gogo danseuse ou stripteaseuse. Ce soir, je portais un simple ensemble de lingerie sexy pour danser, avec des cuissardes en guise de chaussures. Il faisait tellement chaud dans ce lieu bondé que je n'avais aucun mal à rester dans cette petite tenue. Je sentais les regards des mâles en chaleur sur mon corps, ceux des femmes jalouses qui me cherchaient un défaut. Ça m'excitait, me motivait et me rappelait pourquoi je faisais ça. Mes longs cheveux roux brillaient avec les néons, attirant facilement l'attention sur moi. Ma peau luisait d'une fine couche de transpiration mais ça ne me rendait que plus sexy aux yeux des clients.

Tout se passait à merveille, tout était semblable à toutes les autres soirées. Pas d'imprévu, pas de nouveautés, pas de surprises. Rien de grisant ou d'excitant. Aucune passion, aucun frisson. Les visages sur la piste étaient cachés par la pénombre, je ne distinguais que des silhouettes en mouvement. Pourtant un visage me revenait constamment en tête quand je dansais, comme si je voulais qu'il me voit. Qu'il n'ait d'yeux que pour moi. Un fantôme du passé. Un démon qui avait pris possession de moi et de ma vie. J'avais l'impression de distinguer son regard par moment, avec les effets de la lumière mais ce n'était jamais la réalité. Et il valait mieux pour moi. Personne n'avait envie de se retrouver seule face à une bête enragée. Mon subconscient était totalement contradictoire pourtant et j'en venais même à être excitée par cette perspective.

La nuit était avancée quand mon boulot se termina. Il restait peut-être deux heures avant que la boîte de nuit ne ferme ses portes. Je descendis de mon estrade pour me mêler à la foule. Les odeurs se mélangeaient, il y avait des restes de parfum et de déodorant, des effluves d'alcool et de tabac froid et des résidus de transpiration. Certaines senteurs étaient agréables, d'autres un peu moins mais je n'avais pas envie de m'en formaliser. J'avais besoin d'un verre, un bon verre bien corsé pour éloigner ces pensées obscures qui me maintiennent en alerte. J'en avais rien à faire d'être quasiment nue, j'avais la flemme d'aller aux vestiaires pour me changer en sachant que j'allais encore restée quelques minutes pour me désaltérer. Je me faufilais à travers la foule pour rejoindre le comptoir et demander mon dû. Les regards étaient sur moi, sur mon cul dévoilé et sur mes seins qui menaçaient de faire irruption à tout moment. J'en jouais puisque je me cambrais et relevais le buste pour me montrer encore plus. Mon corps était mon gagne pain, j'étais considérée comme un bout de viande mais la différence avec les putes qui faisaient le trottoir, c'était que j'étais mon propre patron. Personne ne m'imposait mes choix, je décidais avec qui je voulais travailler et comment ça allait se passer. Mon verre en main, je bus une longue gorgée. L'alcool n'hydratait pas mais il me donnait de la force pour enchaîner les journées de merde. Un compagnon qui ne réclamait que très peu d'attention mais qui m'était devenu indispensable.
 

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Je n'avais pas l'intention de m'attarder, je travaillais depuis plusieurs heures et mes pieds allaient me remercier lorsque je retirerais mes bottes à talons. Mais je tenais à prendre un verre ou deux, pour profiter des consommations gratuites et puis parce que je l'avais bien mérité non ? Je ne faisais pas attention aux clients autour de moi même si je sentais leurs regards sur moi. Si je montrais le moindre signe d'intérêt ils allaient se faire des films, m'aborder, me sortir des phrases toutes faites, de la drague de merde dans l'idée d'obtenir une nuit de fièvre avec moi. Dommage ! Je n'étais pas du tout intéressée. Les baises d'un soir sans attache faisaient partie de mon quotidien, mais à force j'étais devenue blasée. Les mecs n'arrivaient pas à me faire grimper aux rideaux. Ils étaient soit trop doux, soit trop lents. Quand je leur demandais de faire preuve d'un peu plus de brutalité ils me regardaient comme si j'avais une deuxième tête qui avait soudain poussé. Des mauviettes quoi. Je finis mon verre en quelques gorgées, sentant l'alcool me brûlait la gorge et me donner ce mince réconfort que je recherche.

Une voix ténébreuse retentit à mes oreilles, dépassant le son de la musique, des basses et des cris des clients autour. Elle appartenait à l'homme qui s'était glissé à mes côtés. J'aurais pu reconnaître cette voix parmi des milliers. Elle avait été mon cauchemar et aussi mon rêve pendant plusieurs mois. Je sentis toutes les fibres de mon corps se tendre en comprenant qu'il se tenait bien là, à côté. Difficile à croire après des années de cachette. J'étais crispée et mon coeur battait la chamade. Je sentais mes doigts devenir moite, mon ventre se serrer sous la peur. Quelque chose d'autre se trouvait logeait en dessous... l'excitation ? J'étais muette, incapable de m'exprimer. Ce n'était pas comme si j'avais imaginé cette scène des dizaines de fois ! J'avais néanmoins un avantage, je n'étais pas seule avec lui. Il ne pouvait pas me forcer à le suivre si je restais entourée de témoins. Enfin je crois.

"Dimitri.." je ne savais pas quoi dire de plus. Ce prénom je l'avais prononcé des centaines de fois, pour le supplier, l'implorer, lui crier dessus.. il s'était immiscé très profondément dans mon être et représentait encore énormément pour moi. Toute ma peau se couvrit de chair de poule quand je croisais enfin son regard. "Je.. je dois y aller." Je ne pouvais pas rester à côté de lui sans avoir tous ses sentiments qui refaisaient surface. Ma haine, mon désir.. il me rendait folle, me provoquait des sensations qu'il était le seul à maîtriser. J'avais fui une fois pour m'éloigner de lui, je m’apprêtais à faire la même chose. Avec un peu de chance, j'arriverais à me cacher dans la foule et l'empêchais de me suivre. J'allais devoir me cacher pendant un temps pour me faire discrète, changer encore une fois de nom s'il le fallait. J'étais même prête à me refaire une nouvelle couleur de cheveux voire même à déménager mais cette fois définitivement. Tout ce qui était nécessaire pour m'éloigner de lui. De son regard de braise, de ses mains fortes et brutales, de son corps balaise et dangereux, de son emprise sur ma tête et mon coeur. Il en valait de ma propre survie. Je n'avais pas le choix.



 

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